L'un des hommes forts de la nouvelle organisation annoncée par Carrefour le 11 décembre a un parcours atypique. Julien Munch, entré chez Carrefour en 2021 pour diriger la Roumanie, a commencé comme...militaire, en faisant l'Ecole des commissaires de l'air de Salon-de-Provence! Avant de basculer dans la haute fonction publique, puis de rejoindre la Fnac. Nous avions fait son portrait en 2018.
Quand vous faites le tour du magasin avec lui, Julien Munch aime bien vous faire essayer les enceintes Phantom, le top du top. Car ce qu’il préfère, c’est la musique et non la peinture, comme son nom pourrait l’y prédestiner. Ce mélomane n’est pas perdu dans les 12 000 m² du magasin Fnac de la rue de Rennes, dans le quartier parisien Montparnasse, l’un des fleurons du groupe, le premier à avoir vendu des livres en 1974, à deux pas des maisons d’édition.
Le directeur est fier des initiatives prises par ses vendeurs, comme ces listes des « dix films à avoir vus dans sa vie » ou des « dix livres à avoir lus ». Une initiative qui correspond au message qu’il délivre à ses équipes : « Une fois que le client est entré, il faut le garder. » Entre Albert Dupontel, venu le 7 mars faire la promotion du DVD de son film Au revoir là-haut, et l’écrivain Joël Dicker, de passage pour dédicacer son dernier livre, La Disparition de Stéphanie Mailer, il n’y a pas de quoi s’ennuyer. Pour Julien Munch, qui entame sa troisième vie professionnelle, à seulement 41 ans, il s’agit d’un grand changement.
Après la Bretagne, le Sud
Car, avant d’arriver, au début de l’été 2017, aux commandes de ce paquebot de 250 personnes, qui fait partie des cinq premiers magasins en chiffre d’affaires du réseau, Julien Munch n’était pas vraiment parti pour faire du commerce. À 24 ans, diplômé de l’IEP de Rennes (35), section service public, il choisit l’armée et fait l’École des commissaires de l’air à Salon-de-Provence (13).
Un choix original quand on sort d’un Institut d’études politiques, mais qui traduit un goût pour le management. En langage militaire, un commissaire est un administrateur et un manager. Son arrivée dans le privé ne surprend guère Frédérick Devanlay, un colonel qui a travaillé avec Julien Munch pendant trois ans. « S’il n’avait pas quitté l’armée, il serait allé très loin. C’est un garçon très ouvert, très bon camarade, d’humeur égale. » Un « meneur d’hommes » aussi, « très apprécié de ses élèves ». Julien Munch, lui, en garde des souvenirs forts, notamment lorsqu’il reste quatre mois en Côte d’Ivoire et que les forces françaises sont bombardées. « Il a fallu gérer les morts au combat », raconte Frédérick Devanlay.
Partout où il est passé, cet esprit de camaraderie a marqué. « Ce n’est pas difficile de rester en contact avec quelqu’un comme Julien », considère David Krieff, qui l’a côtoyé à l’Inspection générale des finances (IGF). Car, alors qu’il est conseiller du général de Villiers au sein de l’état-major des armées, Julien Munch utilise l’article 4139-2 du code de la Défense permettant aux militaires de basculer dans la haute fonction publique d’État.
Direction Bercy pour rédiger des rapports divers et variés, de la « réforme de l’inscription sur les listes électorales » à la « revitalisation du commerce en centre-ville », qui date de 2016. Ce sera le dernier. Celui qui partage sa vie avec une pharmacienne se découvre alors un goût pour le commerce. « Cela ne m’étonne pas, poursuit David Krieff. Julien est sensible au rôle que le commerce peut jouer dans une ville comme acteur des échanges économiques et acteur social. »
« Élargir sa vision des choses. » Voilà un principe qui guide la vie de Julien Munch. D’un grand corps d’État, il va passer dans le privé. « Le commerce m’intéresse parce que c’est vivant, que cela concerne tout le monde et que c’est un secteur qui se réinvente profondément », souligne ce grand sportif, amateur de golf et de wakeboard. L’un des fondateurs de la Fnac, André Essel – Julien Munch travaille sur son ancien bureau dans le magasin de Montparnasse –, n’aurait pas renié cette phrase.
Les choses se sont faites simplement. En 2016, Julien Munch envoie un mail à Alexandre Bompard, alors patron de la Fnac, pour lui faire part de son intérêt. Il décroche un entretien et lui exprime sa volonté d’aller sur le terrain. « Courageux et intéressant », a répondu l’actuel dirigeant de Carrefour, passé lui aussi par l’IGF… Julien Munch franchit toutes les étapes classiques d’un recrutement et rencontre au final Enrique Martinez, qui dirige alors l’Europe du Nord pour l’enseigne.
En quête de rapidité
Ce sera donc la Fnac, le magasin de Montparnasse. Julien Munch se dit ravi de cette troisième vie professionnelle. « Comme des millions de Français, j’étais client de la Fnac. Ce qui m’impressionne le plus, c’est la richesse des équipes et le fait que les choses aillent vite. C’est ce que je suis venu chercher dans le privé. » À Montparnasse, les initiatives se multiplient. Confronté à un chiffre d’affaires qui stagne, notamment pour les « produits éditoriaux », pesant plus d’un tiers de l’activité, Julien Munch est convaincu qu’il faut de plus en plus de services. « La conciergerie au rez-de-chaussée ou l’implantation d’un corner de lunettes Sensee.com au milieu des livres, c’est lui », note Jean-Luc Lenay, vendeur au rayon variété et délégué CGT du magasin.
Le magasin a été aussi l’une des premières Fnac parisiennes à installer 250 casiers de retrait pour les commandes internet. En interne, le directeur est perçu diversement. « Il apparaît plus préoccupé par les chiffres que par l’humain », estime Jean-Luc Lenay, qui reconnaît aussi que Julien Munch reste très soucieux de respecter le droit social et ne cherche pas renégocier les avantages des salariés rattachés à la Fnac Paris. Son profil le laisse cependant perplexe. « Jusqu’ici, les directeurs de magasin venaient toujours d’une autre Fnac. Nous avons été un peu étonnés par son pedigree. Est-ce un passage obligé avant un poste plus stratégique ? » L’intéressé botte en touche. « Le groupe est dans une formidable dynamique et peut-être que, au moment opportun, un poste conciliant développement stratégique et exploitation s’ouvrira. » Une quatrième vie commencera.
LSA